A l’heure où le terme « Morale » revient sur toutes les lèvres, où l’on brandit le spectre de la « décivilisation » de notre société et où le gouvernement décide d’imposer des leçons de morale à l’école primaire ; on peut se demander si la morale est vraiment une espèce en voie de disparition et si oui pourquoi ?
L’éthologie des primates peut nous aider à y voir plus clair.
Ce que l’on croyait être l’apanage de notre espèce trouve en fait ses racines dans le monde primate.
Une forme de morale serait déjà à l’œuvre dans les sociétés de singe les plus évoluées ; c’est en tout cas la thèse que soutient un primatologue plutôt sérieux : F De Waal dans son ouvrage "le bon singe"
Pour que la morale ou qu’une forme même primaire de la morale puisse exister dans une société, il faut que ses membres réunissent certaines conditions, en particulier :
- être un animal social : vivre en groupe avec ce que cela implique en termes d'entraide mais aussi de conflits potentiels.
- avoir de bonnes capacités mémoires (pour se rappeler des actes commis par les uns ou les autres.
- avoir une prédisposition biologique à l’empathie (être capable de se mettre à la place des autres, pour savoir ce qui est bien ou mal pour eux).
- il faut être à même d’édicter (implicitement au moins) des normes : les membres du groupe doivent savoir et par conséquent apprendre, ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Et comprendre qu’en transgressant ces règles, ils seront punis.
Ces conditions sont réunies chez les chimpanzés par exemple, qui vivent en groupe sociaux.
Ils peuvent se souvenir des actions commises par leurs pairs plusieurs mois après, en témoignent les actes de revanche (c’est un plat qui se mange froid aussi chez eux !).
Ils sont capables de prêter main forte (et pas seulement à leur famille, mais aussi leurs amis, les enfants du groupe..), il leur arrive d’aider les plus faibles, les handicapés et ils coopèrent volontiers (s’entraider) pour défendre leur territoire…
Ils savent ce qui est bien vu ou mal vu au sein du groupe : ils se cachent parfois après avoir transgressé une règle sociale ou en font des tonnes pour « groomer » leurs alliés, essayer de « réparer » leur conduite.
Ils partagent avec nous le sens de la réciprocité :" si je te donne de la nourriture, tu devras m’en donner autant, la prochaine fois". Et le fait de ne pas renvoyer l’ascenseur peut valoir une sanction (non partage de nourriture la fois suivante quand l’ingrat renouvellera sa requête voire morsure, isolement forcé…).
L’analyse de la morale chez les primates permet de mieux comprendre à quoi la morale sert fondamentalement, au-delà des débats idéologiques.
La morale est un des moyens qui permet d’assurer la paix et la cohésion au sein d’un groupe social.
La vie en groupe présente des avantages indéniables pour ses membres. En coopérant face aux prédateurs mais aussi pour chasser et trouver de la nourriture difficile d’accès, ils augmentent sensiblement leurs chances de survie et de reproduction.
Mais la vie en groupe a son revers de médaille : la compétition.
A partir du moment où l’on vit en groupe, on est en compétition pour obtenir des ressources, des femelles…et des intérêts divergents peuvent apparaître.
Progressivement, les sociétés de primate ont affûté leurs armes pour éviter que ces tensions liées à des situations de compétition, ne mettent le groupe en péril. Certes, ce n’est pas un processus conscient mais l’évolution a favorisé les comportements permettant de rétablir la paix après un conflit et même d’éviter les conflits. Ainsi chez les chimpanzés on se réconcilie le plus souvent après un conflit, et si les rivaux rechignent, souvent une femelle joue les médiateurs pour les inciter à faire la paix quand ce n’est pas le chef de la tribu qui s’en charge.
Et pour réduire le risque de conflit, avant une situation de compétition forte (ex partage de nourriture), les chimpanzés se grooment, se caressent, s’épouillent, se chatouillent, s’embrassent réduisant ainsi la tension sociale.
La morale, y compris dans sa forme basique participe à ce processus de préservation de la cohésion sociale.
La crainte d’être exclu du groupe, ou de perdre ses alliés au sein du groupe conduisent les membres à respecter le plus souvent les règles du jeu social, telles que la réciprocité par exemple. « je te fais ce que tu me fais, en bien comme en mal » : cette norme est forte chez les singes. Elle constitue le socle de la morale humaine : "ne fais pas aux autres, ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse".
En fait les individus sont prêts à sacrifier leur plaisir immédiat et leurs pulsions (agressives, sexuelles…) au nom du groupe. Ce qui fonde leur comportement ce n’est pas une motivation des plus nobles (à savoir œuvrer au bonheur du groupe) mais l’intérêt individuel qu’ils trouvent à protéger leur groupe.
Un primate est perdu sans son groupe ou si son groupe sombre dans le chaos, il peut perdre beaucoup y compris la vie (et les femelles, leurs petits).
En renonçant à la logique de pur plaisir individuel, ils expriment leur attachement au groupe et à sa pérennité. Et comme c’est très important, les mères commencent très tôt à transmettre certaines valeurs –règles du jeu sociales à leur progéniture (respect de l’autorité, de la hiérarchie..).
Les dérapages observés dans les écoles, dans les « quartiers » comme on dit…sont de ce point de vue là préoccupantes, car la transgression de la morale est peut être révélatrice d’un mal plus profond, la perte du sentiment d’appartenance à un groupe.
Si le groupe ne joue pas son rôle de protection, alors pourquoi renoncer à ses appétits, se sacrifier individuellement, il n’y a pas de raison ?
En tant que primate, on est disposé à aliéner quelque peu notre liberté et accepter l’autorité, à condition qu’en échange (principe de réciprocité oblige), cette autorité nous protége des dangers, crée les conditions de notre tranquillité et nous aide à accéder aux ressources…
Si cette autorité faillit dans sa mission, elle ne peut plus rien espérer de ses membres et ce n’est pas en leur rappelant haut et fort les règles du jeu, qu’elle sera entendue.
On n’a pas fini de découvrir les effets pervers de ces supers communautés dans lesquelles évoluent les primates humains, aujourd’hui. Là où la promiscuité obligée, la peur de l’autre ont pris le pas sur le sentiment d’appartenance, les relations stables qui caractérisent les tribus de primates singes.
Peut-être que la solution serait, à l’instar des chimpanzés, d’introduire dans nos communautés, le processus de scission fusion qui conduit les groupes trop denses à éclater et se séparer en deux pour conserver une taille humaine (comme on dit en langage humain !).
Qui sait alors si la morale retrouverait d’elle-même sa place au sein de nos tribus!
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