Les gilets jaunes défient les lois des sociétés primates

Le spectacle de violence auquel les Français ont assisté samedi, lors de l’acte 18 des gilets jaunes, pourrait choquer nos cousins singes.

Comme tous les animaux, l’homme est animé par un ‘’instinct’’ de survie qui le conduit à être en compétition avec les autres pour obtenir les meilleures ressources et la sécurité. Mais en tant qu’animal social, il a besoin de ses pairs pour survivre durablement. La coopération lui permet de se protéger des prédateurs, de chasser et de faire face aux dangers de la nature. C’est pourquoi le cerveau des primates s’est doté de capacités d’empathie qui facilitent l’inhibition des pulsions de violence. Une étude en primatologie en 2016 confirmait que les chimpanzés pensent vraiment à la coopération et prennent activement des décisions qui la maximisent et minimisent la compétition »[1]. 

Pour favoriser la coopération l’homme a inventé des antidotes à ses pulsions égoïstes : la morale, les religions et surtout la sanction, un dispositif qui existe aussi chez les singes. Ceux qui volent, agressent les autres ou même se refusent à coopérer, au sein de leur groupe s’exposent à la désapprobation sociale (qui compromet leur chance de survie à terme),  quand ils ne sont pas frappés à mort.  C’est pourquoi les chimpanzés évitent de dérober de la nourriture à leurs congénères en présence de témoins.

L’homme n’agit pas autrement,  en témoigne, la vague de vandalisme qui déferla lors de la panne d’électricité de New York en 1977,  à la faveur de l’obscurité. Les pillages et le vandalisme furent accompagnés de crimes violents rappelle le neurobiologiste Dario Maestripieri.[2]

Pourtant samedi dernier, certains gilets jaunes ont mis le feu à des commerces avant de se livrer à des pillages ; ils ont agi en plein jour, sans cagoule, en assumant leur comportement devant les caméras.

Quand les ‘’instincts’’ nous jouent des tours

‘’Instinct’’ de survie oblige, les chimpanzés n’hésitent pas à se rebeller quand ils sont mécontents de leur dominant même si ces changements de pouvoir s’accompagnent de violences au sein de la troupe.  La pression fiscale, le manque de ressources financières, par opposition au confort des « nantis » a probablement activé chez les gilets jaunes les mêmes « réflexes » de survie. Considérant leur démarche comme légitime, nombre d’entre - eux n’ont pas jugé nécessaire d’agir masqués.
D’autant qu’ils ne craignent pas la désapprobation sociale, au contraire. Quand les gilets jaunes offrent aux manifestants les butins de leur pillage dans des boutiques de luxe ou quand ils détruisent les radars et péages sur l’autoroute, ils font figure de Robins des Bois et c’est une des raisons de leur popularité, en tout cas au début du mouvement.

Mais l’instinct de survie et le sentiment d’être soutenu par l’opinion n’expliquent pas à eux seuls la durée et la violence de ces manifestations. D’autres mécanismes adaptés de l’évolution sont à l’œuvre.

En tant que primates, les hommes se conforment le plus souvent aux injonctions de leur chef.  Est-ce la raison qui a conduit certains gilets jaunes, sans casier judiciaire à se livrer à des actes de grande violence ? Ils auraient pris pour modèle les gilets jaunes les plus radicaux qui s’improvisent chefs, le temps de la manifestation ou pire les black blocs, ces professionnels de la rébellion ?

De même, l’instinct grégaire qui peut sauver des primates, en inhibant les comportements exploratoires plus risqués, semble aussi avoir été détourné de sa fonction originelle. Nombre de gilets jaunes au départ pacifistes se sont laissé contaminer par la violence des plus radicaux. Il a fallu du courage à certains pour s’opposer à des tabassages de policier ou d’autres personnes non manifestantes.

Enfin le manque de sanctions proportionnées aux violences, a probablement contribué à la situation de chaos actuel. Si un chimpanzé évite de s’attaquer à ses pairs par peur d’être puni,  la crainte de sanctions policières ou judiciaires n’a visiblement pas suffi à inhiber les pulsions de violence des casseurs.  

Chez nos cousins primates, les épisodes révolutionnaires ne s’éternisent pas en général car ils fragilisent la communauté. Ce sont souvent les femelles qui y mettent un terme en soutenant le dominant le plus à même de restaurer la paix. En France, après quatre mois de lutte, pas un seul chef ne s’est distingué chez les gilets jaunes tandis-que le gouvernement est toujours debout. Chez les chimpanzés ce ne serait probablement pas le cas.

Pour ne pas avoir entendu à temps les inquiétudes d’une partie importante de sa tribu, ne pas avoir sanctionné les comportements les plus violents, et n’avoir pas su restaurer la paix rapidement, le chef aurait été renversé.

Aujourd’hui, face aux hésitations du pouvoir, l’opinion pourrait être tentée de jouer sa carte à l’instar des femelles qui se mobilisent pour mettre un terme aux guerres fratricides chez les chimpanzés. En ne s’attaquant plus seulement à des symboles du luxe mais aussi à d’autres gilets jaunes, des petits commerçants, des kiosques à journaux, en brûlant des scooters, en incendiant des immeubles quitte à mettre en danger des femmes et des enfants ; les gilets jaunes ont brouillé leur image. Les soutiens au mouvement s’effritent depuis quelques semaines[3].

Ces nouveaux dérapages pourraient conduire à un retournement de l’opinion. Instinct de survie oblige, les citoyens pourraient être tentés de coopérer pour faire pression sur les rebelles comme sur les autorités dans l’espoir de restaurer la paix sociale. Pour le gouvernement, la défiance croissante de l’opinion envers les gilets jaunes représente à la fois une opportunité pour reprendre le contrôle de la situation mais aussi une menace supplémentaire à son autorité. La réponse est dans ses mains.

 

[1] Malini Suchak, psychologue auteure avec le primatologue F de Waal de l’étude sur la coopération des chimpanzés  

[2] P 155 de A quoi jouent les primates, Editions de l’Evolution

[3] 52 % des Français estiment que le mouvement doit cesser Le Point 17/02