- Mercredi prochain France 2 diffuse un documentaire qui filme un jeu factice "le jeu de la mort" dans lequel des "examinateurs" doivent administrer des chocs électriques pour sanctionner ceux qui commettent des erreurs dans leur réponse. Sous la pression de l'animatrice et du public présent. Plus de 60 % des examinateurs n'hésitent pas à torturer les malheureux candidats jusqu'à menacer leur vie. Ils semblent totalement sourds aux larmes et aux prières de leurs victimes.
Cette expérience fait écho à d'autres réalisées sur nous autres primates et qui conduisent à la même conclusion : un homme, à priori "normal" peut dans certaines circonstances se transformer en monstre.
Cela donne froid dans le dos. On croyait pourtant avoir progressé depuis quelques décennies après avoir levé le voile sur les épisodes peu glorieux de notre histoire (guerre, camp de concentration, déportation...).
- Pourtant nous partageons, au moins avec nos cousins singes, la capacité d'empathie (se mettre à la place des autres, partager leur émotion) voire même de sympathie. Ces aptitudes sont censées contre-balancer nos accès de violence qui font également partie de notre nature primate.
Mais il semblerait que dans un certain contexte, cette aptitude empathique soit neutralisée. A partir du moment où notre processus émotionnel est inactivé, nous sommes en mesure de nous transformer en tortionnaires.
- En fait, ce comportement "monstrueux" a probablement des origines bien antérieures à notre passé de primate.
Confronté à la faim, l'homme peut se transformer en véritable fauve et dévorer avec délectation un agneau de lait qu'il caressait pourtant la veille lors d'une visite dans une ferme écolo!
Confronté à la peur, l'homme se soumet aux caprices de son cerveau reptilien. Le reptile en lui le conduit à planter ses crochets venimeux dans la chair de ses victimes, sans aucun état d'âme.
Confronté à la crise, à une situation de trouble, le primate s'en remet le plus souvent à un chef tyrannique, tel un loup qui se soumet à son dominant pour que celui-ci protège au mieux la meute.
- Et c'est ainsi que nous autres primates sommes capables de suivre aveuglement les consignes d'un Hitler, d'un Mussolini ou de tout autre dictateur.
Le "jeu de la mort" a réussi à réveiller ce réflexe ancestral de soumission aveugle à l'autorité.
Faut-il croire que les temps sont durs et que nous n'avons pas d'autre issue que de nous en remettre à une autorité, aussi tyrannique soit-elle et au mépris de tous nos principes moraux ? Les encouragements du public et la pression de l'animatrice qui officie tel un dictateur dans cette émission ont fini par lever les doutes de certains examinateurs.
Ou alors faut-il chercher le coupable ailleurs. Le petit écran aurait-il trouvé la recette qui permet d'activer nos bas instincts afin de nous garder captifs, impératif publicitaire oblige. A l'instar de certains fabricants de tabac qui ont ajouté des adjuvants aux cigarettes pour renforcer l'effet addictif de leurs produits.
C'est clair que le recul de l'autorité de nos institutions traditionnelles, école, religion, famille, politique... s'accompagne d'une montée en puissance de nouvelles institutions telles la télé. Le petit écran gouverne de plus en plus notre vie et dicte nos conduites. Ne fait-on pas confiance aujourd'hui à la télé réalité pour savoir "comment éduquer nos enfants", comment bien se comporter face à l'environnement", "comment acquérir le bon goût", comment bien cuisiner, bien acheter, bien se nourrir, bien choisir son compagnon...? Là où un homme politique ne parvient pas à nous déplacer dans un bureau de vote, une simple animatrice de télé est capable de nous conduire à commettre le pire!
Si le "jeu de la mort" contribue à un sursaut de notre conscience, c'est une bonne nouvelle. On suivra donc l'audience de l'émission de près, tant il est vrai que nous avons tendance à rejeter le miroir de nos faiblesses et turpitudes...
"A l'instar des fabricants de tabac qui ont ajouté des adjuvants aux cigarettes pour renforcer l'effet addictif de leurs produits" !...et si nous en reparlions ?
Rédigé par : Aneta | 16 mars 2010 à 21:42
Etant assez loin de la TV pour des raisons tant de temps et, je l'avoue volontiers, de confort, :) je découvre donc, grâce à votre billet, cette expérience qui n'est pas sans rappeler celle conduite par Stanley Milgram à l'Université de Yale dans les années 60. http://en.wikipedia.org/wiki/Milgram_Experiment
Son livre "Soumission à l'autorité" a notamment inspiré Henri Verneuil dans "I comme Icare" pour démonter les mécanismes de manipulation ayant conduit à la Shoah et à l'assassinat de JFK, qui est au coeur du film. La reconstitution de l'expérience de Milgram sous les yeux du procureur Volney, joué par Yves Montand, est assez saisissante et donne à réfléchir. C'est ainsi que j'ai découvert Milgram et ai acheté son livre (que j'ai prêté et qu'on ne m'a jamais rendu). J'espère que le documentaire que vous annoncez aura le même impact positif de réveiller les consciences sur ce que ce type de manipulation peut produire.
Les 'scores' que vous annoncez sont hélas dans la 'fourchette' de Milgram.
"In Milgram's first set of experiments, 65 percent (26 of 40)[1] of experiment participants administered the experiment's final massive 450-volt shock, though many were very uncomfortable doing so; at some point, every participant paused and questioned the experiment, some said they would refund the money they were paid for participating in the experiment. Only one participant steadfastly refused to administer shocks below the 300-volt level."
Je reconnais que c'est assez terrifiant et qu'après cela on ne regarde plus son voisin de palier ou de métro de la même façon... Et quid de soi-même ?
Je retiens également les théories que Milgram a échaffaudées :
"# The first is the theory of conformism, based on Solomon Asch's work, describing the fundamental relationship between the group of reference and the individual person. A subject who has neither ability nor expertise to make decisions, especially in a crisis, will leave decision making to the group and its hierarchy. The group is the person's behavioral model.
# The second is the agentic state theory, wherein, per Milgram, the essence of obedience consists in the fact that a person comes to view himself as the instrument for carrying out another person's wishes, and he therefore no longer sees himself as responsible for his actions. Once this critical shift of viewpoint has occurred in the person, all of the essential features of obedience follow."
Votre article étaie bien la première théorie sous l'angle qui vous est familier. Je serais très curieux de connaître votre éclairage à propos de la seconde théorie de Milgram, qui complète la première, en ajoutant une dose de perversité, dont je ne sais pas si les animaux proches de l'homme sont capables : une forme de 'délégation déresponsabilisée' en quelque sorte.
Pour finir, j'ai deux aimables 'reproches' à vous faire :
a) de ne pas écrire assez souvent sur ce blog, car vos billets sont enrichissants ;
b) de ne pas publier votre livre, dont vous avez repris les droits, sur papier, car lire du PDF sur un PC, c'est usant. Je suis sûr que d'autres lecteurs de ce blog seraient heureux de pouvoir acheter un support papier de votre livre et Amazon ou Lulu peuvent parfaitement répondre à ce souhait sans engagement financier de votre part. :) http://www.lulu.com/publish/books/?cid=nav_bks
Bien cordialement,
Alexandre
Rédigé par : Alexandre | 17 mars 2010 à 16:55
merci pour votre commentaire très instructif
la seconde théorie de Milgram n'est pas très éloignée de la première. C'est clair qu'on a en nous, et ca remonte loin, probablement bien avant nos origines primates, des aptitudes qui nous permettent de nous adapter et de préserver la pérennité du groupe social en cas de danger. L'obéissance, la soumission au chef en font partie. On pourrait dire qu'on est programmé pour cela mais en même temps, nous sommes également programmés pour réfléchir par nous même, nous sommes capables de désobéir et nous rebeller .Qu'est ce qui fait que la machine se dérègle, et qu'on obéit quand on ne devrait pas, ou que l'on se rebelle quand on devrait suivre le chef, j'avoue que c'est un mystère. Plus l'espèce est intelligente, plus elle a de choix dans ses comportements. C'est cela qui nous différencie des fourmis et autres espèces collectivement intelligentes mais totalement prévisibles (pour ne pas dire stupides) au plan individuel. Face à un évènement, l'homme est l'animal qui a le plus d'options possibles pour réagir. C'est d'ailleurs cette liberté qui lui est offerte qui génère pour beaucoup un vrai stress (d'où le besoin de s'en remettre à une autorité pour décider à notre place, chef politique, secte, gourou...)
merci pour le tuyau de lulu.com, je vais explorer, car je compatis, très pénible la lecture d'un livre en PDF...
Rédigé par : marie muzard | 18 mars 2010 à 12:18
Perversion ou conditionnement, technique pervasive et persuasive
pour faire obtempérer sans tempérer aux objurgations d'une meneuse (pas de revue) . J'ai lu l'article de télérama qui sans en faire un télédrama en donnait une lecture comparative avec ces expériences historiques de suivisme et d'influence qui dénote une altération de la conscience dans les phénomène collectif, l'effet masse qui modifie les perspectives et la réactivité et neutralise les velleités, dilue la responsabilité et soumet à un diktat du groupe.
L'état groupal à l'oeuvre dans toute sa splendeur, la résonnance et le renforcement collectif qui prive de distance et abolit les limites. Mais rien de comparable à la transe des afficionnados et la froideur bureaucratique de la solution finale.
Puisse cet exemple horrifier et protéger de futures manipulations les hommes, leur rendre chère la culture du discernement et du sens critique, de l'auto détermination face à toutes les autorités, tous les totalitarismes. Mais voilà on est aussi programmé pour sauver sa peau et l'instinct de conservation remonte aussi loin qu'on peut aller chez les musquidés, nos ancètres les mammifères à poils du temps des dinosaures.
Rédigé par : thierry | 19 mars 2010 à 20:53
Marie, vous parlez de confiance en la télé réalité, pour tout un tas de choses, télé intime et confidente, télé thérapeute bientôt, télé qui rapetasse nos oripeaux; mais à trop se confier et à presque l'utiliser systématiquement,à travers ses conseils, comme un directeur de conscience n'est ce pas justement oublier que l'expérience de la confontation simulée n'a pas la même valeur que celle qui vous engage directement, que rien ne vaut l'échange réelle d'impressions dans des groupes de parole ou des mises en situation. Alors la télé réalité, ce pâle substitut émotionnelle, ce prolongement, cette extension sensible pallierait à l'étroitesse et à la monotonie de nos vies pour nous faire accéder, enfin ! à des expériences troublantes mais sans effet réel. Comment en être sûr et ne pas imaginer, déparavation, dégradation des capacités de jugement.
Pour ma part, je n'ai pas souhaité ni pu regarder cette éclectique émission à vous faire dresser les cheveux sur la tête, car la logique des bourreaux, même de travail, m'est étrangère et j'aime trop la douceur chez l'homme comme la femme.
Merci encore pour votre contribution à ce débat fort utile néanmoins pour montrer comment la panurgite nous fait ingurgiter des pitances rances.
Rédigé par : thierry | 20 mars 2010 à 05:01