J’avoue que l’intervention de Sarko Junior hier m’a bluffée.
Quelle maîtrise apparente de la part d’un jeune homme de 23 ans dans un contexte polico-émotionnel particulièrement tendu.
Sur la forme tout d’abord, son expression est fluide, soignée, posée, il a tout d’un grand communicant, il utilise déjà toutes les ficelles des vieux briscards de la politique.
C’est lui qui mène le jeu dans l’interview. Dès le début, il exprime son message clef, visiblement bien préparé, sans même prêter attention à la question du journaliste.
Et pour faire passer ses autres messages, il utilise la technique bien connue des « questions posées à soi même » : pourquoi suis-je légitime ? Pourquoi suis-je candidat ? C’est vrai qu’il vaut toujours mieux répondre à ses propres questions qu’à celles des journalistes, on s’évite ainsi quelques mauvaises surprises.
Il connaît déjà les vertus de la récurrence, en matière de communication orale. Il faut répéter, encore répéter les messages pour qu’ils s’impriment dans le cerveau du public qui reçoit le discours. Il nous a donc raconté plusieurs fois la même histoire : pourquoi il a brigué le poste de président de l’APAD, pourquoi il y a renoncé, pourquoi il va continuer à s’engager en politique… pour éviter l’effet de lassitude, il a juste changé la petite musique de fond, mais l’histoire est la même.
Il a appris à dégager en touche : à la question de sa candidature à la présidence du Conseil Général, il a recours à la formule magique « ce n’est pas d’actualité et oui, il ne va quand même pas se laisser prendre deux fois, la leçon a porté ses fruits.Il n’hésite pas à réfuter les commentaires du journaliste. A plusieurs reprises, il rétorque « ce n’est pas ce que je suis en train de dire ».
Son comportement, sa gestuelle, témoignent aussi d’une parfaite maitrise et au delà, ce sont ceux d’un chef primate potentiel.
Il regarde son interlocuteur en face, tête haute, sa voix est douce mais ferme, son débit maitrisé. Le torse est droit, les gestes rares. Il est mobile sans être agité... Il nous montre en langage d’acte qu’il sait contenir ses émotions, ce qui est une des premières qualités du chef et un signe de maturité surtout dans un contexte de crise.
On comprend pourquoi il n’a pas brillé sur les bancs de la fac, tout occupé qu’il était à prendre des cours de média training !
Sur le fond, quels étaient ses messages ?
Je suis un homme et non plus un gamin
A ses détracteurs, il leur dit « jugez moi sur mes actes ».
Et c’est vrai, qu’il apparaît plus comme un homme qu’un étudiant de 23 ans :
- quand il renonce à son poste, ce qui peut apparaître comme un acte courageux d’autant qu’il l’assume publiquement face à la caméra, là où d'autres auraient envoyé un communiqué à l’AFP,
- en faisant preuve d’un total self-contrôle pendant l’interview,
- en insistant sur le fait qu’il a pris tout seul, sa décision de renoncer au poste de Président et non sous la pression de son père. Il n’a pas voulu parler de sa décision avec Nicolas Sarkozy en tant que président. Il assume seul sa décision. c’est ce qu’il affirme à plusieurs reprises (un peu trop souvent pour être honnête !)
- en évoquant « la responsabilité, le devoir » autant de notions qui ont plus souvent leur place dans la bouche des chefs politiques que dans celles des jeunes,
- en montrant que cette campagne de désinformation n’ébranle pas ses convictions, en affirmant que les attaques politiques, il les accepte. Sous-entendu « même pas peur ! »,
- en soulignant que c’est la raison qui lui dicte son choix de renoncer, il écoute, il réfléchit et décide. A l'en croire, l’émotion n’a pas voix au chapitre.Ma candidature au poste de Président de l’APAD était légitimeIl a été élu en 2008 Conseiller Général de Hauts-de-Seine, à ce titre il pouvait briguer ce poste à la Défense. Ce message, il a tenu à le faire passer à plusieurs reprises, histoire de lever définitivement les soupçons de favoritisme ?
Je suis un être humain et pas seulement une bête politiqueIl rappelle que « comme tous les fils, dans les moments difficiles, il parle avec son père », Il reconnaît que la démarche de s’expliquer sur son renoncement devant la caméra, c’est pas évident », il nous arracherait presque quelques larmes. Ce qui ne le rend que plus humain.
Il insiste sur le fait qu’il « aime les gens » (comprenez… il a un cœur), il veut les écouter, il n’est pas sourd, ni aveugle… toutes ces confidences contribuent à le positionner comme une personne proche, humaine, sensible, comme vous et moi. Il se démarque ainsi du cliché des hommes politiques, tout droit sortis de l’ENA, sans cœur mais non sans reproche qui méprisent leurs électeurs.
J’ai une éthique, une conscience
C’est "Jiminy Cricket" (sa conscience) qui lui dicte de renoncer, il le répète « il ne veut pas d’un poste obtenu dans le soupçon » , il ne supporte pas le soupçon. Il a des scrupules ce garçon, c’est tout à son honneur.
J’irai loin en politique, vous pouvez compter sur moi
Alors qu’il rend les armes, Jean Sarkozy réussit à laisser entendre qu’il va revenir par la grande porte. On comprend qu’il comptera désormais sur la scène de la politique. Il affiche une ambition forte, un engagement politique « inaltérable » comme il le répète et surtout sincère. Il a vraiment envie de moderniser ce quartier stratégique de la Défense, « ce n’est pas une question d’argent mais de responsabilité » et les responsabilités, elles ne lui font pas peur.
Petit bémol, trait de jeunesse peut être, on voit que le fiston n’a pas encore appris à plaider coupable et à reconnaître ses torts.
Ceci étant, ses ainés ne sont pas nécessairement plus doués en matière de mea culpa. Mais on aurait aimé qu’il reconnaisse sa maladresse, des erreurs. Au début de l’interview, quand il annonce « qu’il y a des choses vraies dans ce qui a été dit pendant cette campagne dirigée contre lui »…on se surprend à espérer un mea culpa, mais non, quand le journaliste le relance sur le sujet il dégage en touche « on ne fait jamais une faute, une erreur quand on s’engage en politique ». Il aurait pu au moins reconnaître qu’il ressentait de l’amertume comme le suggérait David Pujadas : mais non, il réfute, pour lui ce serait une forme de faiblesse, à 23 ans, on doit d’abord montrer qu’on est fort. Pas question donc de jouer sur le registre de la victime ou du martyr. Mais comme il a su reconnaître (en creux )qu’il souffrait de cette campagne, qu’il restait humain, qu’il avait un cœur et que son engagement politique était sincère, on lui pardonne néanmoins.
Finalement on peut se demander si cette campagne anti Jean Sarkozy ne va pas au final aider le fiston a faire son entrée en politique, il a préparé le terrain, c'est sûr, il a fait sienne l’adage "on peut perdre une bataille, pour au final gagner la guerre" !
Après une telle prestation, difficile de le traiter de « fils à papa », c’est plutôt Sarko senior qu’on risque de traiter de « papa de son fi-fils » d’ici quelques années !
Sarko sénior devrait se tenir sur ses gardes, chez les singes capucins, j’ai déjà assisté au meurtre d’un chef de bande, par son propre fils, un peu trop empressé de reprendre la couronne !
Très juste, Marie !
Je souscris tout à fait à l'analyse détaillée que tu fais de sa communication. Les média trainers ont bien travaillé, et l'élève est manifestement doué (n'a-t-il pas fait beaucoup de théâtre? De ce point de vue, il s'est approprié La scène du JT avec un bel aplomb).
Il m'est venu autre chose, concernant plus généralement la posture de Jean Sarkozy, qui est un tout jeune homme. Une question simplement : où est sa rébellion ? Quelle est sa prise de distance vis-à-vis du père? Ce mimétisme extraordinaire, que tu soulignes, me frappe. Comme une sorte de clonage, qui se repère jusque dans les intonations, la forme des arguments. Peut-être ont-ils usé des même média trainers, mais tout de même cela interroge. Pour être lui-même un "chef primate" il lui faudra affirmer une forme d'indépendance. Ce qui passe toujours, pour un fils, par une rupture symbolique avec le père. Or c'est justement cette espèce de continuité dynastique, tout à fait frappante, qui a créé cette crise et cette levée de bouclier. Je ne suis pas sûr qu'il ait compris que sa légitimité ne pouvait procéder de celle de son père - ou alors il ne serait qu'un avatar de celui-ci. De ce jeune homme, on attend de voir, en somme, les aspérités. A cette seule condition il sortira du chemin trop balisé du "fils à papa" pour trouver sa propre voie.
Rédigé par : Marc Traverson | 23 octobre 2009 à 13:20
tu as raison, dans le monde des primates les plus évolués (chimpanzés, hommes, bonobos), il ne suffit pas d'être fils de chef pour devenir chef, il ne suffit pas d'être un clone de son daddy pour mériter le trône, aucun primate ne peut échapper à l'épreuve du feu, au rituel initiatique, qui l'oblige à combattre, à démontrer ses capacités de courage, d'habilité sociale, de résistance... en ce sens, cette crise a probablement plus servi le prince Jean qu'elle ne l'a desservi, l'avenir nous le dira, car il a prouvé qu'en dépit de son age, il avait une certaine carrure et qu'il n'était pas qu'un copié-collé de son père, son comportement non verbal est bien plus maîtrisé par exemple et en apparence , plus digne que celui de son géniteur. Cela ne veut pas dire que cette crise n'a pas fait de victime. Si le fils s'en sort pas trop mal, c'est plutôt son père qui en prend en coup et par la même l'image de notre pays cf la presse internationale !
Rédigé par : marie muzard | 23 octobre 2009 à 13:38
Merci pour cette très juste analyse.
Il est sacrément doué, digne fils de son père, bercé dans la politique et ses milieux depuis sa plus jeune enfance. Aucun doute qu'il a dû recevoir un média training costaud, et on voit bien que ce n'est pas lui l'invité de pujadas, mais bien pujadas l'invité de Jean Sarkozy.
Il prépare le terrain, se montre, profite de 5 minutes de prime time pour non pas faire ses preuves en tant qu'administrateur mais pipoteur professionnel, dans ce monde de la communication et du visuel, c'est tout ce qu'on demande à un chef de marketing politique.
Il obtient en même temps quand même un beau poste d'administrateur, à 23 ans, et ça personne ne le mentionne..
Et on est sûr que dans 6 mois il revient nous faire le coup, avec ça ou autre chose, assermenti de "j'ai grandi".
Dans l'hypothèse d'un sarko fatigué et usé pour 2012, plus c'est gros, plus ça peut passer, le fils sera une bonne option.
Il ne faut pas oublier que s'il est aussi bon que son père en communication, il a aussi déjà les bons réflexes de coups de couteau dans le dos et de trahison. Voyons ce que les français retiendront du petit.
Rédigé par : www.facebook.com/profile.php?id=509815427 | 23 octobre 2009 à 13:51
Non, Marie, faut quand même pas exagérer! le meurtre du père interviendra peut-être, le junior s'est fait les dents, il impressionne par son mimétisme. mais c'est justement pour cela qu'il faut fuir!!!
Le clan des Hauts de Seine ne relâche pas ses ambitions, cela reste inquiétant, anyway...
Rédigé par : vincent nouzille | 24 octobre 2009 à 20:32
Vos analyses sont pertinentes et savoureuses, comme toujours!
Merci.
J'aurais beaucoup aimé en lire, de votre part, concernant Brice Hortefeux et Frédéric Mitterrand.
Quant à Jean Sarkozy, je vous rejoins, il est impressionnant!
Mais hélas, il porte les stigmates des conseillers en com' qui l'ont vraiment transformé en un Louis Jouvet de la sphère politico-médiatique.
D'après la rhétorique d'Aristote, il reste tout de même dans un registre proche de la manipulation, puisque ses dominantes argumentatives sont le pathos (sentiments qu'il a provoqués chez nous, bravo à lui en effet, il est humain, son coeur saigne, pourquoi tant de soupçon...) et son ethos (l'image qui se construit à travers son discours est celle d'un animal politique qui sait où il va. On appréciera à sa juste valeur son passage chez Jacques Dessange et Afflelou).
Le logos en revanche est bien bien moins présent (son discours use de la répétition pour un message simple et réduit : la raison est là et c'est elle qui me dicte de me retirer...).
Autre bémol : l'emploi massif de la formulation négative "je ne veux pas de...", "je ne peux pas...".
Pourquoi affirmer ce que l'on n'est pas, ce que l'on ne veut pas!!!
Alors que l'affirmation de soi nécessite au contraire d'affirmer ce que l'on est, ce que l'on veut, ce que l'on peut...
Concernant le non verbal, impressionnant en effet. Nous sommes prêts à entendre sa voix douce et chaleureuse nous susurrer "Bonne nuit les petits"... et un bon verre de lait et hop dans le lit avec une bouillotte.
Néanmoins, les épaules sont tombantes, il gagnerait à se redresser davantage, à allonger la colonne vertébrale de manière à ce que l'on puisse apprécier sa stature.
Mais bon, je m'arrête là... car je suis prête à acheter mon billet pour le voir au Théâtre Marigny dans la pièce mise en scène par Robert Hossein
"Mon fils ce héros"
Rédigé par : Sonia Garèche | 27 octobre 2009 à 22:27
Bonjour Marie,
Superbe analyse, c'est vrai, mais je n'en attendais pas moins de votre part bien sûr ! ;-)
Ceci dit, personnellement il ne m'a pas impressionnée, j'ai trouvé que ça sentait trop le "professionnel de la communication" derrière. J'ai le sentiment de plus en plus net de vivre dans une société qui privilégie la forme sur le fond, et c'est dommage. Entre un primate en costume-cravate et un primate plus "nature", je préfèrerai toujours le naturel....
Amitiés : Caroline
Rédigé par : Caroline Baillez | 29 octobre 2009 à 17:04
@sonia : c'est vrai que le petit a encore une belle marge de progression, et qu'il a surtout prouvé sa capacité à jouer(presque) parfaitement sa partition, à lui de prouver qu'il est capable de composer sa propre partition, alors peut être que ses épaules se redresseront..
@caroline:c'est clair, la forme prime sur le fond dans le monde du pouvoir et ca date pas d'aujourd'hui, même chez les chimpanzés, on parade, on simule.. histoire de gagner des voix
Rédigé par : marie muzard | 30 octobre 2009 à 08:51
@sonia, merci pour cette fine analyse du fils de notre chef primate. c'est clair qu'il porte déjà les stigmates des conseils en communication de tout poil... quant à se redresser, ca ne sera pas facile tant que son père sera au pouvoir. Dans notre imaginaire collectif de primate (comme chez nos cousins singes), le chef a la plus grande carrure, et sinon, il compense son handicap physique en criant plus fort, en secouant des branchages, histoire de marquer sa présence. S'il se redressait j sarkozy ne ferait qu'humilier son père, qui n'a pas sa carrure !
Rédigé par : marie muzard | 09 janvier 2010 à 14:31
Finalement bien briffé et sans montre de luxe il croyait passer la rampe et nous montrer sa trempe, d'acier inoxydable il serait fait , mais corroyé par les échos il s'est sans doute fourvoyé, sauf qu'à se construire une image pérenne il soigne la postérité et ce n'est pas par la poste héritée que ça faconde étonnante, sa blondeur juvénile.
Rédigé par : thierry | 20 février 2010 à 10:26
Comme dans le tango il faut savoir quand ça tangue tout la haut faire modeste figure, alléger les propos et dans une allégeance à la vulgate attendre que l'orage passe et que celà ne se gâte plus. Guetter par tous en quête de faux pas, il ne faut pas donner prise plus que cela à la critique civique et à force de civilités soigner son image dans la cité pour faire oublier l'ardeur et l'impudeur qui vous avaient propulsé comme une fusée avant que le carburant ne tombe en panne; alors pas raidi par l'enjeu, pas engoncé dans un costume trop grand, sans faire un pli ne pas plus froisser la morale et s'avoir s'inscrire dans le flux du temps, attendre son heure quoique pas dans l'ombre et ne pas être seulement l'ombre d'un autre, donner à son prénom une notoriété soudaine et imposer un jour une magna carta aux barons en attendant, petit prince qui en pince de trouver des tâches à sa mesure pour caler son ambition.
Rédigé par : thierry | 20 février 2010 à 10:33