Si l'affaire de la Société Générale s'était produite en 2000, il est peu probable qu'elle ait connu un retentissement aussi fort qu'aujourd'hui.
Il se serait passé, ce qui se passe le plus souvent dans le cas d'une société confrontée à une crise en France :
D Bouton aurait exprimé sa version des faits, la presse aurait pris note, la grande majorité des titres se contentant de relayer fidélement les propos du dirigeant. Certes Libé aurait dénoncé la langue de bois mais bon, Libé n'est pas le meilleur ami des "patrons", le Canard aurait sorti une info contredisant la version officielle, mais bon ! c'est le Canard, donc pas vraiment crédible (je me contente de citer !).
Et l'affaire était jouée.
Certes, certains journalistes avisés auraient été tentés de se pencher de manière plus critique sur l'affaire. Mais ce type d'initiative relève quasiment de l'héroïsme, dans notre pays, où la plupart des grands médias sont détenus par de grands groupes disposant de réseau d'alliés sans fond ! Au final, les médias traditionnels ont tendance à s'auto censurer, histoire d'éviter des vagues.
C'est ainsi que nombre de dirigeants ont sauvé leur siège, dans le passé (ex patron de Total) , ils ont crié haut et fort leur innocence, la justice les a parfois rattrapés, bien plus tard, quand la crise était passée et que l'opinion s'intéressait à d'autres problèmes. C'était bien joué mais il faut l'admettre, la partie était facile !
Alors que désormais, la pièce se joue à plusieurs, on n'est plus dans le monologue des dirigeants grâce ou à cause de (ca dépend où l'on se situe) nouveaux acteurs : les internautes, les sites, les bloggeurs...
Dans les heures qui ont suivi la conférence de presse de D Bouton, l'underground numérique libérait un flot d'informations, de commentaires techniques et d'opinions sur cette affaire. Wikipédia publiait un article extrêmement précis signé par un broker en tout cas un homme du métier sur le sujet.
Le grand public découvrait alors les coulisses de ces "back office", le fonctionnement des courtiers, des procédures de contrôle...autant d'infos qui contredisaient pour partie l'argumentaire simplissime de la Société Générale. La tentative de diabolisation d'un homme pour sauver la réputation de la banque et éviter surtout les doutes sur les procédures de contrôle a (pour partie ) failli.
Elle n'a résisté que quelques heures, en témoignent certaines radios qui avaient commencé par délivrer la version de la Sté Générale et qui ont fait marche arrière dans leurs journaux du soir en mettant quelque peu en cause l'explication officielle de la banque. Les médias traditionnels ont fait figure de suiveurs par rapport à Internet, comme c'est de plus en plus souvent le cas.
Ce n'est pas un hasard si notre Président toujours à l'affût des tendances de l'opinion dans l'espoir de faire remonter sa cote, a très vite "condamné" D Bouton. Il a senti le vent tourner !
On a souvent dit qu'internet était une vaste jungle, pour ne pas dire un réceptacle d'infos trash, certains médias traditionnels entretiennent d'ailleurs cette image diabolique - D Bouton n'a pas le monopole de la tactique- en "refilant" leurs infos les plus trash sur le spin off numérique de leur support (cf l'affaire du SMS et Nouvel Obs).
Or cette affaire montre qu'internet est un moyen de pression sur les institutions, les autorités pour faire reculer la langue de bois.
On ne peut plus dire n'importe quoi, impunément depuis qu'une bonne partie de l'opinion surfe sur la toile et a les moyens de s'informer auprès de sources "indépendantes".
Cette montée en puissance d'internet comme contrepouvoir doit être prise en compte rapidement par les dirigeants et les professionnels de la communication de crise.
Jusqu'à maintenant dans 80 % des cas, les dirigeants ont tendance à réfuter toute responsabilité (même morale) dans le cas d'une crise.
On peut espérer que désormais, ils comprendront qu'il est de leur intérêt de se rapprocher le plus possible de la réalité, de ne pas s'exprimer sur leur responsabilité tant qu'ils n'y voient pas clair et ne pas rejeter d'entrée de jeu l'hypothèse de responsabilité.
Du côté des agences, la vie sera plus dure pour celles qui ont pour habitude de gérer une crise en faisant appel à leur réseau de "copains" journalistes , celles qui considèrent "qu'elles tiennent la presse, pas de problème". Et c'est vrai que ce fonctionnement en réseau fonctionnait bien. Un journaliste hésite avant de se facher avec une agence qui conseille le dirigeant en crise, alors même que cette agence est son premier "informateur" et qu'elle dispose du pouvoir de le faire sortir de la liste des "accrédités".
Avec internet, le jeu se complique "difficile de tenir internet".
Il va donc falloir vraiment communiquer, au sens originel, de "parler avec" et d'expliquer.
On peut donc rêver que la communication devienne par nécessité "éthique", il faudra faire de la communication durable pour éviter que la communication officielle ne soit démentie par les internautes en quelques heures.
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