Les points forts et les faiblesses de la communication de la Société Générale
Points forts :
La
tactique choisie, une communication offensive et large était adaptée,
il fallait communiquer vite et sur tous les fronts pour éviter l’effet
de panique :
Le choix d’organiser une conférence de presse large,
d’envoyer une lettre aux actionnaires, aux clients, d’organiser un
« chat sur internet » avec ses salariés...pour développer cet
argumentaire de « confiance dans l’avenir » s'est révélé efficace.
L’argumentaire
choisi a réussi à éviter l’effet de panique chez les clients, qui
représente le risque le plus grave, dans ce type de crise financière :
De ce point de vue, on peut penser que cet objectif a été atteint :
- affirmer la solidité de la banque (« elle reste profitable en dépit des pertes, elle prouve ainsi sa capacité de résistance dans l’orage »).
- mobiliser des alliés qui font autorité : Banque de France qui a réaffirmé sa confiance dans sa solidité,
- immédiatement
annoncer une augmentation de capital afin « de continuer à financer les
projets de développements (et non pour éviter la faillite ) et de faire
savoir que les grands actionnaires allaient suivre cette augmentation,
- obtenir un vote de confiance du Conseil d’Administration qui a refusé la démission de D Bouton
Toutes ces initiatives ont permis d’envoyer des signaux de confiance aux clients et au grand public en général.
Le
fait que Daniel Bouton propose sa démission était astucieuse : d’abord
parce qu’il ne prenait guère de risque, dans les premières heures d’une
crise, quand on ne sait pas encore les causes du mal, l’enquête n’étant
pas menée à son terme, le Conseil d’Administration ne pouvait pas
décemment retirer sa confiance au président. D’autant qu’en France la
pratique reste exceptionnelle, en général, on s’entraide, c’est cela
l’esprit de corps et le sens de l’intérêt commun (les participations
croisées qui ont toujours cours, limitent le risque
de lâchage intempestif ).
Points faibles de la communication
Une tactique périlleuse :
l'annonce de l’origine du mal en même temps que le mal est une
tactique qui peut se révéler dangereuse. Dans ce type d’affaires, les
causes sont complexes, il est difficile de croire qu’un audit d’un ou
deux jours ait suffi pour comprendre d’où venait le problème. Certes,
c’est tentant en communication d’annoncer qu’on a réglé le problème,
puisqu’on en connaît l’origine et que cette cause est sous contrôle ;
mais si les faits ultérieurs, les conclusions de l’enquête font
apparaître d’autres causes, l’institution sera discréditée et suspectée
d’avoir menti. Donc cette tactique peut avoir un effet boomrang.
La victime : un argumentaire peu convaincant pour les marchés :
L’argumentaire développé par la Générale a tenté de préserver la
confiance dans le management et la bonne gestion de la banque. Mais il
n’est pas certain que l’objectif ait été atteint : le discours de
victime, de double victime même n’a pas été totalement convaincant :
- victime d’un salarié malhonnête et super intelligent capable
de déjouer les procédures de contrôle : comment croire qu’un jeune
courtier aussi intelligent soit-il, puisse engager de telles sommes ?
D’autres personnes, si ce n’est l’ensemble du système portent une
responsabilité.
La technique de « diabolisation »
d’un salarié est une technique efficace, mais qui trouve ses limites
ici compte tenu des montants en cause, 5 Mrds !
Elle
peut aussi avoir un effet boomrang, car plusieurs enquêtes sont en
cours, s’il apparaît que la Générale a « chargé la barque » pour éviter
que l’attention ne se focalise sur ses choix d’investissements
hasardeux et sauver ainsi sa réputation, elle le paiera cher, c’est le
capital de confiance qui sera entamé.
-victime d’une conjoncture déprimée
(subprime) : difficile de l’évoquer, alors que Daniel Bouton avait
soutenu l’inverse dans les mois qui précédaient. Il est peu approprié
de jouer le rôle de victime des subprimes sachant que pour être
victime, cela suppose qu’on ait pris des engagements que certains
pourraient qualifier d’imprudents, en amont. Donc on est responsable
avant d’être victime.
Des arguments contradictoires :
•
Comment peut-on dire que cela fait des années que le courtier préparait
son coup, d’où le succès de celui-ci et en même temps, ne pas
reconnaître un problème grave dans le process de contrôle, comment ne
pas avoir remarqué une personne aussi « dangereuse » qui a commencé ses
malversations en 2006 ?
• Autre
argument contradictoire, La Société Générale insiste sur la qualité
« modeste » du courtier coupable, dans ce cas comment pouvait-il
engager des sommes aussi énormes sans se faire repérer, cet argument
jette le doute sur la qualité des contrôles au sein de la Générale.
•
Autre contradiction : comment peut-on faire porter l’entière
responsabilité du problème à un seul homme et refuser toute
responsabilité du « système » et en même temps, licencier un service,
et la quasi totalité de l’équipe qui le supervise ?
-
Argument fantaisiste (orchestré ou non par des alliés-salariés de la
Générale ), certains ont évoqué la théorie du complot : à qui
profiterait le crime (à l’or, une affaire qui déstabiliserait Trichet
...), théorie peu sérieuse, mais qui fait partie des axes traditionnels
de défense en cas de crise. Il a été peu relayé dans les médias (on ne
le trouvait que dans quelques forum sur le web).
-
Un argument maladroit : En annonçant qu’il allait sacrifier son bonus
et ne pas se verser de salaire, Daniel Bouton a attiré l’attention sur
sa rémunération, il est apparu au public très vite que son sacrifice
faisait office de goutte d’eau dans un océan de « revenus », ce qui a
conforté son image de nanti par opposition aux petits actionnaires et
actionnaires salariés, seules vraies victimes de la chute du titre en
bourse.
- Une communication à l’américaine trop « packagée »
Dans son interview pour France Info, Daniel Bouton utilise métaphore sur métaphore pour expliquer la situation : l’incendie
pouvait gagner la maison on a réussi à l’éteindre dans la chambre, le
courtier roulait à 190 km sur l’autoroute et a déjoué tous les radars
fixes et mobiles... cette avalanche de métaphores a un effet
pervers, elle donne le sentiment d’une communication manipulatrice,
c’est « too much ». Certaines métaphores sont exagérées, à propos du
geste du courtier, Daniel Bouton évoque un acte terroriste espérant
peut être s’attirer la sympathie émotionnelle des auditeurs.
BILAN
Au
final, la communication de la Société Générale a convaincu côté
clients, ce qui a permis d’éviter la panique mais les marchés sont plus
sceptiques.
A court terme le risque le plus grave a été écarté et Daniel Bouton a sauvé sa place.
Mais à moyen terme, on peut craindre l’effet boomrang de la communication :
- Un
climat de suspicion : la Générale a dégagé toute responsabilité sur un
salarié, il n’a pas abordé le problème de fond qui inquiète les marchés
et les actionnaires, ce faisant il crée une relation de méfiance à la
fois sur le management de la banque, sur l’institution elle même, voire
même sur le système bancaire français. Les petits actionnaires, les
grands perdants de cette affaire, qui ont vu leur action perdre près de
la moitié de sa valeur en quelques mois, et qui s’estiment pénalisés
par la récente augmentation de capital, n’ont pour le moment guère de
voix au chapitre, mais une enquête est lancée, on verra quelle est la
force d’impact de cet actionnariat grand public.
- Au delà de
l’enquête menée par les actionnaires, il faudra attendre les
conclusions de l’enquête menée par le parquet de Paris pour savoir la
fin de l’histoire. S’il s’avérait que la version officielle de la
Société Générale n’était pas confirmée, la Société Générale et son
management aurait à faire face à une crise de confiance grave qui
pourrait remettre en cause l’indépendance de la banque.
- A
titre personnel, certes Daniel Bouton a préservé son poste ; ses grands
actionnaires et administrateurs se sont montrés
solidaires.
Mais depuis l’affaire Messier, la leçon a été entendue,
on ne peut pas « supporter » au sens anglo - saxon une personne prise
en flagrant délit de mensonge. Si les différentes enquêtes en cours
concluaient à une possibilité de tentative de dissimulation des faits,
alors la position de Daniel Bouton serait fragilisée.
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