La défiance contre Amazon ne date pas d’aujourd’hui. Le groupe est accusé depuis plusieurs années de tuer le petit commerce, de pratiquer une concurrence déloyale, de ne pas contribuer suffisamment à la société, de ne pas payer ses impôts, de porter atteinte à l’environnement…Il est donc régulièrement l’objet d’appel au boycott.
Mais la situation s’est aggravée pour le géant du E commerce. Au plan de la justice, cette année, il a été épinglé plusieurs fois : par la justice française (sécurité de ses salariés au printemps dernier) et plus récemment par Bruxelles qui ouvert une procédure anti trust.
Les politiques sont montés au créneau comme A Hidalgo et R Bachelot pour appeler au boycott d’Amazon pour les achats de Noël.
Du côté de l’opinion, l’épidémie de Covid a renforcé le sentiment de défiance.
Dans un contexte où de nombreux acteurs de l’économie et une partie de la population souffre, le succès d’Amazon apparaît moins supportable au regard d’une partie de l’opinion.
Dans l’inconscient collectif, Amazon apparait comme un monstre, qui se nourrit de « l’épidémie » puisqu’il bat des records de vente et en bourse.
Le fait qu’il ait pu continuer à vendre ses produits non essentiels quand le commerce français ne le pouvait pas, a renforcé cette image de géant incontrôlable, face auquel même l’état français est impuissant.
Enfin dans cette période de Covid, les petits commerces ont trouvé des alliés, leurs clients, qui les fréquentent à nouveau (contrainte de proximité oblige) ils peuvent ainsi partager plus largement leur inquiétude ou plutôt leur colère à l’égard d’Amazon qu’ils considèrent comme le responsable de tous leurs maux.
Risques limités à court terme mais réels à moyen terme
Pour l’instant, les risquent restent limités.
On constate une hiérarchie dans la gravité des crises concernant les entreprises.
Celles qui concernent la sécurité des personnes sont de loin les plus graves.
Elles sont suivies des crises de consommation : 74% des consommateurs selon une étude récente de Kantar souhaitent que les marques leur facilitent la vie quotidienne en cette période de confinement. Ils attendent des entreprises qu’elles s’organisent pour leur permettre d’accéder à leurs produits et services dans des conditions de sécurité. Une offre accessible et sûre, reste même dans ces temps de crise, l’attente la plus partagée chez les consommateurs
Mais il est clair que les exigences éthiques montent en puissance en particulier depuis 4/5 ans. De plus en plus de consommateurs hésitent à consommer des marques qui « se conduisent mal » et privilégient celles qui à l’inverse, non seulement ne font pas de sortie de route mais s’engagent pour améliorer la société, l’environnement.
Mais ce mouvement reste limité : entre facilité de consommation et éthique, la grande majorité des consommateurs choisit la première. Tant qu’Amazon sera le seul acteur à proposer une offre aussi large et aussi facile d’accès à bon prix, il est l’abri d’un boycott général. D’ailleurs il a réalisé cette année "un Black Friday record en dépit des appels au boycott pour Noël.
Mais on ne peut écarter que la dynamique de succès soit impactée progressivement car le sentiment de culpabilité (des consommateurs) finit souvent par se traduire à terme dans les actes et donc dans les ventes comme on l’a constaté pour la fourrure par exemple.
Et la dynamique de croissance pourrait être brutalement interrompue si les consommateurs avaient d’autres alternatives presque tout aussi « faciles » mais plus conformes à l’éthique. Une option impossible à écarter à moyen-long terme.
L’éthique peut poser également un problème à terme aux collaborateurs.
L’exigence éthique est partagée par les jeunes qui ont tendance à rejoindre les employeurs réputés pour avoir des valeurs fortes.
Donc on peut se demander si cette mauvaise image d’Amazon peut dissuader certains talents de rejoindre le groupe.
Pour le moment visiblement ce n’est pas le cas : Amazon se classe au 11iéme rang des meilleurs employeurs (devant Michelin par exemple) selon le récent classement de Glassdoor.
Il faut dire que dans les dernières années, le groupe a amélioré sa politique sociale notamment vis-à-vis de ses cadres.
Mais là encore à terme, s’il apparait comme l’entreprise la plus détestée, les collaborateurs seront éprouvés : difficile d’être associés à l’image du « collaborateur avec l’ennemi français ».
La mauvaise image d’Amazon ne présente pas seulement des risques pour ses ventes, ou pour ses collaborateurs, elle peut freiner son développement. En témoigne plusieurs projets d’entrepôt en France qui ont été refusés, sous la pression de l’opinion, les collectivités ont renoncé aux emplois que le groupe promettait pourtant de créer localement.
Des erreurs commises
- lors de la première vague
Amazon France n’a pas bien joué, pour la première vague, contrairement à d’autres groupes qui ont dès le début du premier confinement annoncé un geste solidaire fort à l’égard des consommateurs.. il n’a pas bougé. Pire, il a été accusé de maltraiter ses salariés dans le but de « profiter » au maximum de la période de rush.
Il a attendu que le mouvement de boycott se durcisse pour se montrer plus « solidaire »
Plutôt bien :
F Duval, DG d’Amazon France a accepté de repousser le black Friday. C’était malin, il a pu ainsi réduire l’image du géant incontrôlable puisque B Le Maire l’a fait plier ! Il a pu renouer le dialogue sur une base plus positive avec le gouvernement.
Mais devant la vague de boycott qui ne stoppait pas, Amazon France a décidé de communiquer plus largement, dans les médias traditionnels en particulier. Son patron est en première ligne. Une communication forte qui s’impose compte tenu de la gravité de la crise médiatique.
Mais il pouvait mieux faire :
Une initiative trop tardive :
Il a annoncé le lancement d’une académie permettant d’aider le petit commerce à se digitaliser et pas nécessairement sur la plateforme d’Amazon.
Dommage que cette initiative n’ait pas été prise lors du premier confinement.
Car d’autres acteurs français du E commerce ou de la grande distribution (ex Intermarché) l’ont précédé quelques jours auparavant, en proposant leur plateforme de marché gratuitement à disposition du petit commerce
De plus l’annonce d’Amazon est communiquée au moment où le groupe est accusé d’utiliser les données des vendeurs tiers à son profit. Elle apparait donc plus comme opportuniste que solidaire. Et le seul fait d’offrir des crédits publicitaires ne suffit pas à effacer les doutes.
Que faire aujourd’hui ?
- Jouer la carte du meilleur ami des consommateurs pour éviter que les appels boycott soient plus largement suivis : en se situant sur ce terrain, Amazon peut conserver son avance par ex avec des opérations pour faciliter la vie, et alléger le budget des clients Prime.
- Jouer la carte de la solidarité : il serait bon de prendre des initiatives fortes pour faciliter la vie des consommateurs moins privilégiés, afin de réconcilier « business et éthique ». Par exemple, proposer des articles discountés avec des conditions de livraison privilégiées aux personnes en situation de handicap lors de la journée consacrée aux Handicapés.
Mais cela ne suffira pas, Amazon doit aller plus loin et prendre des initiatives solidaires en France « désintéressées ».
Même si certains pourront continuer à l’accuser d’hypocrisie (il joue les sauveurs mais ne payent pas suffisamment d’impôts), le fait de contribuer à l’amélioration de la société française, doit permettre de corriger progressivement l’image de cette société américaine obsédée par le profit. Si ces efforts pour mieux participer à la vie de la société, ne suffisent pas à convaincre les anti Amazon, ils réduiront la culpabilité des clients d’Amazon, c’est important.
- Jouer la carte de l’humilité »
La communication d’Amazon y compris en France est assez conforme au style de communication des entreprises américaines, elle valorise les succès, commerciaux et boursiers en particulier. Une communication qui peut être perçue en France comme provocatrice.
Ainsi attaqué de toutes part, F Duval commence ses interviews en se déclarant « très content » car c’est le plus gros black Friday qu’on ait jamais fait.
Ou lors d’un autre interview se félicite d’avoir pris la décision de déplacer le black Friday.(France info le 07/12), dans un contexte d’épidémie et de crise, exprimer son contentement apparait déplacé.
- Jouer la carte de la transparence
On le sait bien la nature a horreur du vide, le fait de ne pas communiquer le montant de l’impôt société, nourrit les fantasmes . Amazon aurait peut-être intérêt à révéler ce chiffre quitte à l’expliquer en le globalisant et en valorisant le montant total des impôts payés (pas seulement l’IS). De même sur l’usage des données des entreprises tierces, Amazon doit s’expliquer et prendre des engagements forts.
D’une manière générale, Amazon pourrait organiser des visites d’entreprise, permettre l’accès de personnes (faisant partie de sa communauté) au siège, à ses entrepôts voire quand cela sera possible aux Etats-Unis. Autant de visites qui peuvent ensuite faire l’objet de vidéos et nourrir les réseaux sociaux.
- Jouer la carte des partenaires
Il est urgent de sortir de cette opposition petit commerce français contre le géant du E commerce.
Amazon essaie désormais de faire passer le message, du même bateau : quand Amazon réussit, ses entreprises tierces en profitent aussi. Il a raison, mais il faudrait mieux le défendre
Il faudrait commencer par désigner ses entreprises de la place de marché comme les « entreprises tierces » n’est pas très heureux, il vaudrait mieux parler des PME et autres entreprises partenaires….
Et surtout il faudrait proposer des concours, des prix, ou autres évènements permettant aux entreprises partenaires de gagner en visibilité sur les réseaux sociaux. Amazon pourrait se rapprocher d’influenceurs en les incitant à « épauler » des entreprises partenaires, en d’autres termes il faudrait montrer une volonté de « cocooner » ses partenaires. Là encore certains continueront à avancer qu’Amazon continue par ailleurs de « saigner » ses soi-disant partenaires mais néanmoins ce type d’actions porte ses fruits dans la durée.
- Jouer la carte plus humaine, plus émotionnelle
F Duval est le premier porte-parole dans cette crise. Or s’il apparait sous contrôle, il manque de chaleur.
Quand il est attaqué, il aurait intérêt à montrer qu’il est touché par ces accusations. Comme tous ceux qui travaillent pour le groupe.
Quitte à donner l’impression qu’il s’emporte quand on l’accuse, car son apparence de calme peut être perçue comme un aveu. S’il ne semble pas choqué par ce qu’on lui reproche, cela prouve qu’il est coupable.
Un point plus anecdotique à travailler :
il faudrait qu’il maîtrise mieux les techniques de l’interview, il a pour habitude de reprendre les accusations à son compte avant de les nier ex :
Non, Amazon n’est pas le grand méchant qu’on décrit (18 Nov Lea Salamé)
On sait que l’expression négative frappe et reste dans la mémoire (l’opinion retient le mot méchant et non la négation). Il vaudrait mieux qu’il apprenne à substituer ces expressions par une autre plus positive.
Amazon France a intérêt à diversifier ses porte- parole en privilégiant ceux qui ont un ton chaleureux, par exemple il aurait pu confier l’ annonce du lancement de l’académie, à une personne au cœur de ce projet qui en aurait parlé de manière plus vivante.
Par ailleurs, Amazon France pourrait faire témoigner des « tierces vendeurs « heureux » qui pourraient confirmer l’idée que quand il gagne de l’argent, ses entreprises tierces en profitent aussi.
Plus généralement il peut communiquer sur les réseaux sociaux en postant des vidéos « témoignages » de collaborateurs ou d’entreprises tierces voire de clients.
- Jouer la carte des études, des chiffres
La communication d’Amazon est hésitante sur les questions de destruction ou création d’emploi. La seule étude sur laquelle elle s’appuie pour prouver que le bilan de création d’emplois (indirects) est positif n’apparait pas probante.
Il faudrait citer des sources crédibles , publier des études réalisées par des organismes indépendants et ne pas se limiter à déclarer vaguement que l’Insee a constaté que le commerce de détail avait créé 260 000 emplois… Amazon a participé à cela !
La communication d’Amazon, on le voit bien doit s’appuyer sur un langage d’actes, et des engagements forts (exploitation des données des vendeurs…, initiatives solidaires). Sinon elle ne sera pas efficace. Et il est important qu’elle s’appuie sur des tierces personnes plus appréciées et-ou plus crédibles pour relayer ses messages. Dans le long terme ce type de communication devrait porter ses fruits pour « dédiaboliser l’image d’Amazon. C’est avec une démarche proche que la grande distribution qui apparaissait il y a 50 ans comme le fossoyeur du petit commerce a réussi à se glisser dans le cœur des Français. Cf Leclerc, le Robin des Bois défenseur du consommateur.
Ironie du sort, ces « méchants commerçants » d’hier font désormais figure de « gentils », par rapport à Amazon (cf la campagne d’Intermarché « Désolé Amazon »).
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